Les idées des sans voix sur le front du climat : le RC&D dans Libération

A l’occasion du 9ème atelier du RC&D, qui s’est tenu à Parisdu 14 au 18 avril 2015, le journal français Libération a consacré un article de 2 pages au RC&D dans sa version papier des 18 et 19 avril 2015, que vous pouvez retrouver dans sa version électronique ci-dessous : http://www.liberation.fr/terre/2015/04/17/les-idees-des-sans-voix-sur-le-front-du-climat_1246915.

Les idées des sans-voix sur le front du climat

Christian Losson,

Dans la lutte contre le changement climatique, leurs terres sont en première ligne. Quatre activistes racontent leurs combats, sans attendre les négociations internationales, où ils sont souvent oubliés.

 

Que faire pour éviter que la planète compte 250 millions de déplacés environnementaux ? Comment éviter que 600 millions de personnes s’ajoutent aux 900 millions qui souffrent déjà de la faim ? Quelles réponses apporter aux 70% des Africains privés d’accès à l’énergie pour trouver une énergie durable pour tous ? Quels défis la conférence climat de Paris, dans huit mois, doit-elle «relever pour répondre aux besoins des populations les plus vulnérables et les plus démunies» ? Ce sont ces questions que sont venues poser vendredi à l’Assemblée nationale quelques voix de l’Afrique francophone, réunies dans le Réseau Climat & Développement, qui rassemble 80 associations depuis 2006.

Des voix de la société civile qui se font souvent trop peu entendre dans les cénacles internationaux comme, parfois, dans leur propre pays. Et ces voix-là, loin de se réfugier dans la déploration, le constat alarmiste ou l’urgence de justice climatique (qui s’imposent malgré tout), viennent ouvrir des pistes, dégager des idées. Et lancer des initiatives pour s’adapter, trouver des alternatives aux fausses solutions et envisager leur développement par d’autres moyens que ceux des pays riches, qui ont une responsabilité historique dans le péril climatique actuel.

«Les conférences internationales essaient de répondre à ces enjeux mais, ironie de la situation, sans jamais écouter les porteurs de projets et les communautés les plus directement affectées, note Alix Mazounie, du Réseau Action Climat. Nous les appelons les sans-voix.» Ces sans-voix dopent le moral des militants climat, inquiets de l’accord au rabais qui se profile à Paris. Ils sont de plus en plus persuadés que le changement viendra d’en bas. Des peuples. «Je sais exactement pourquoi je me bats pour un deal à Paris, poursuit Mazounie. Pas pour qu’il sauve le climat mais pour que l’action de ceux qui luttent déjà pour la survie des populations et de leurs droits ne soit pas vaine.»

Parmi ces voix, Libération a choisi de privilégier celles venant des pays les plus fragiles, parmi les plus affectés par le changement climatique : ceux de la zone sahélienne. Deux femmes, deux hommes. Quatre pays : Tchad, Mali, Burkina Faso et Niger.

Hindou Oumarou Ibrahim, 30 ans, Tchadienne:

«Il y a des morts parce que des bovins ont brouté du mil»

 

Elle parle d’une voix douce, dit qu’elle veut «porter» celle de la communauté peule, 300 000 âmes qui vivent de la transhumance et «ont une culture dépendante de l’environnement». Une culture que cette coordinatrice des femmes peules autochtones défend. Depuis le début des années 2000, les conflits entre éleveurs et cultivateurs se multiplient pour l’accès aux ressources, à l’eau, aux terres, y compris pour de simples passages de nomades. «Il y a régulièrement des morts parce que des bovins ont brouté du maïs ou du mil.» Or, l’élevage mobile, qui contribue à près de 15% au PIB, est un élément clé de la sécurité alimentaire  – «Quand le ventre n’est pas plein, la tête ne réfléchit pas», dit-elle. Mais aussi de la sécurité tout court, car la conciliation entre nomades et sédentaires tient de l’impératif pour la stabilité.

«Pour éviter que les plus désœuvrés ne viennent grossir les rangs des radicaux islamistes.» Mais aussi parce que de plus en plus d’éleveurs, faute d’accès à des points d’eau, se déplacent au Cameroun, au Nigeria, «certains même jusqu’en république démocratique du Congo, et cela crée des tensions régionales». Les périodes de sécheresse s’allongent. «Et les pluies s’abattent parfois avec une violence rare.» En 2010, 150 000 personnes ont été affectées, et le cycle se reproduit. «Pour autant, l’eau manque. Les fleuves Chari et Logone se tarissent. On peut les traverser à pied.» Victime d’un climat qui s’emballe et de sa surexploitation, le lac Tchad se meurt. La troisième réserve d’eau douce au monde est passée en cinquante ans de 25 000 à 2 500 km2 environ en 2010 : «30 millions de personnes vivent autour, dont les nomades mais aussi des sédentaires ; les périmètres de pêche se réduisent.»

L’alternative ? Il faut, résume Hindou Oumarou Ibrahim, sécuriser les parcours de transhumance, multiplier les ouvrages hydrauliques, impliquer les communautés locales. Et que les négociations climatiques, «cette machine froide sans visage», connaissent «ce que vivent les plus démunis sur les terrains, et comprennent l’urgence d’agir pour les droits humains de base.»

 

Maman Zakara, 35 ans, Malien :

«Il faut se servir de notre première ressource: le soleil»

 

Fatalistes, passez votre chemin. Maman Zakara n’est pas du genre à se laisser envahir par un pessimisme désarmant. «Il y a des solutions pour lutter contre le changement climatique, et pour nous, cela passe par notre première ressource : le soleil.» Chargé de programme au Mali pour Folkecenter, une ONG dont la grande sœur, danoise, promeut des énergies renouvelables à travers le monde, il raconte «comment l’accès à l’énergie permet de lutter contre la pauvreté, la déforestation, et le réchauffement». Un défi de taille : à l’instar de l’Afrique de l’Ouest, moins de 20 % des Maliens ont accès à l’électricité.

Ce titulaire d’un troisième cycle en écologie appliquée multiplie donc les microprojets. Comme le développement de «boutiques énergétiques», qui fournissent du courant dans une dizaine de communautés rurales. «On met en place des kits solaires qui alimentent des lanternes, servent à charger les batteries de portables, ou nourrissent des fours solaires.» Un modèle axé sur la microfinance. Anecdotique ? «Non, plaide-t-il. L’idée, c’est de s’adapter.» Et grâce à différents relais d’ONG, telle Action Aid, ou d’institutions, comme la Banque mondiale, les projets prennent de l’ampleur. «Elle nous aide à développer des systèmes hybrides dans plus de 30 communautés, où le solaire vient en appui à des centrales qui fonctionnent au diesel.»

Résultat : des soudeurs ont enfin de l’électricité en continu. Des coopératives développent la culture du beurre de karité. Des petits vendeurs proposent de l’eau fraîche le long des routes. Hybrider les systèmes, c’est aussi «des fours améliorés, en métal noir, qui captent le soleil et consomment moins de charbon». Ou simplement coupler riziculture et pisciculture pour économiser l’eau. Produire de l’électricité avec un biocarburant à partir d’huile de jatropha ? Une culture éreintée par des ONG, car elle encouragerait l’accaparement des terres. «Sauf qu’ici, le projet est hyperlocal et ne concurrence pas les terres destinées à nourrir la population», dit-il. Et d’ajouter : «Le climat est au cœur de nos vies. Les gens disent : « Le temps change, trouvons des solutions. »»

 

Zenabou Segda, 44 ans, Burkinabée: 

«On a monté des champs-écoles pour les femmes»

 

Elle martèle d’emblée : «Les impacts des changements climatiques représentent une menace majeure pour les personnes vivant déjà dans la pauvreté… dont 70% sont des femmes.» Au sein du Women Environmental Programme au Burkina Faso, Zenabou Segda veut se battre pour sortir les femmes des frontières invisibles qui les enferment. «Ce sont des actrices cachées dont les actions ne sont pas montrées et qui ne sont pas assez impliquées dans les décisions.»

Les femmes ? Le lien le plus enraciné avec la terre, souffle-t-elle. Elles qui labourent les champs, cherchent l’eau, trouvent du bois. Elles qui tentent de trouver des solutions concrètes pour s’adapter aux changements climatiques. «On a monté des champs-écoles où on leur apprend des techniques simples.» Il faut expliquer «les fosses fumières, du compost pour éviter le recours aux fertilisants». Apprendre «les demi-lunes, ces croissants qui retiennent l’humidité et dopent les rendements». Enseigner «les diguettes, des cordons pierreux en terre ou en pierre pour retenir l’eau».

Un meilleur accès des femmes à la terre, aux animaux d’élevage, à l’instruction, aux services financiers, aux technologies «se traduirait par une nette augmentation de leur productivité et par une amélioration de la production agricole, de la sécurité alimentaire», résume un rapport de la FAO de 2011. Environ 100 à 150 millions de personnes échapperaient à la faim. «C’est à nous de défendre les produits de la nature, de la pêche, de la forêt.» Des écosystèmes menacés par le dérèglement climatique, la pression démographique, l’avancée de la désertification, l’accaparement des terres.

Il y a dans son regard minéral une féroce détermination à se battre pour que les femmes, dans cette «société machiste», soient une solution dans la lutte contre le réchauffement. «Après, on peut multiplier les plaidoyers sur la biodiversité ou sur l’efficacité énergétique, la cuisson solaire ou les biodigesteurs [qui produisent du biogaz à partir des déjections animales, ndlr]. Mais on manque encore cruellement de moyen pour nous adapter.» Il en faut pour vite inverser la donne.

Moutari Abdoul Madjid, 35 ans, Nigérien:

«On ne veut pas reproduire les erreurs des pays riches»

 

Il veut dire ce qu’est, concrètement, le changement climatique. «Le Niger, c’est le pays du Sahel par excellence ; les deux tiers sont désertiques et la pluviométrie ne dépasse pas les 400 millimètres. Mais désormais, on peut avoir en trois jours 500 millimètres de pluie et des sécheresses encore plus dures.» Des bouleversements qui ravagent les cultures, entraînent des crises alimentaires, voire des famines, et poussent des familles à se déplacer, vers le Nigeria ou la Libye, «quitter la misère pour encore plus de misère». Au péril de leur vie : «52 migrants de la commune de Matamey ont péri entre le Niger et la Libye.»

Quand Moutari Abdoul Madjid est né, dans son village il y avait «46 mares, dont 30 permanentes. Moins de 15 le sont désormais. Il n’y a même plus de crocodiles.» Des plantes ont disparu, d’autres arrivent, que les paysans ne connaissent pas. «Mais on peut réagir, on peut agir», raconte celui qui, avec son ONG, Développement pour un mieux-être (DEMI-E), veut lier la bataille climatique à l’eau, l’assainissement, la bonne gouvernance et la sensibilisation. Un proverbe haoussa («Lève-toi que je puisse t’aider») réfute toute abdication. Autrement dit, attendre des aides au compte-gouttes des pays du Nord. C’est ainsi qu’il pousse les paysans à cultiver des arbres fruitiers plus résistants que les manguiers, multiplie le désherbage des cours d’eau, anime des caravanes de sensibilisation autour de sketches, tient deux émissions dans des radios communautaires.

L’explosion démographique du Niger, record mondial de la natalité avec 7,57 enfants par femmes, est-elle un handicap supplémentaire ? «Oui, la pression est réelle, admet-il. Mais notre pays fait 1 267 000 km2, deux fois et demi la France. Et n’a que 18 millions d’habitants. Si on invente un mode de développement sobre en carbone, et qu’on arrête de rêver autour de l’uranium ou du pétrole, les générations futures ont une réelle chance.» Il marque une pause, puis ajoute : «On ne veut pas reproduire les erreurs des pays riches qui, par leurs émissions, détruisent la planète. On veut au contraire la réparer.»

 

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