Les biocarburants en Afrique: quels usages et quelles sauvegardes?

La perspective d’ENDA Energie

Le continent Africain est confronté aux contraintes de la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et le développement durable, accentuées par le changement climatique. Les besoins urgents d’accès aux services énergétiques, pour le développement et la lutte contre la pauvreté requièrent l’exploration d’alternatives énergétiques dont les biocarburants. Le développement des biocarburants pourrait s’opérer sans compétition dans l’usage des terres et inscrire le secteur agricole local dans une perspective de motorisation notamment pour la maîtrise de l’eau (pompage, irrigation), cela est d’autant plus pertinent dans les périmètres maraichers, où le coût de l’énergie représente jusqu’à 40% des charges d’exploitation si l’on prend exemple sur le Sénégal. Des référentiels de bonnes pratiques pour les filières courtes existent et montrent la voie pour un changement d’échelle dans la production durable des biocarburants. L’agriculture en Afrique, mobilise près de 60% de la population active(OIT, 2013), participe à hauteur de 30% au Produit Intérieur Brut (PIB) dans de nombreux pays et dépend directement des pluies à plus de 70%.Cependant, en raison des changements climatiques, les pays d’Afrique subsaharienne risquent d’accuser une baisse considérable de leurs rendements agricoles de 20 à 30 % d’ici à 2080, baisse qui pourrait même atteindre 50 % au Soudan et au Sénégal (Oxfam, 2013). La transformation de cette agriculture africaine sera donc basée entre autre sur un accès sécurisé et inclusif des citoyens aux énergies propres en zones rurales notamment pour les usages productifs.

  1. 1.    Les biocarburants : Quels enjeux pour l’Afrique ?

A l’échelle globale, les biocarburants restent un sujet à controverse. Souvent le rapprochement est fait entre son développement, l’accaparement du foncier et la sécurité alimentaire. La menace d’accaparement des terres par les investisseurs privés au détriment des communautés à la base, suscite à juste titre de nombreux questionnements. Cependant, selon le rapport de l’IIED (Cotula 2009), demandé par la FAO et l’IFAD, beaucoup de transactions répertoriées dans de nombreux pays d’Afrique n’ont pas dépassé le seuil de négociation, et certains sont en attentes tandis que d’autres ont été annulés.

C’est le cas à Madagascar, en Ethiopie, au Soudan, au Ghana et au Mali, un inventaire des contrats de concession foncière portant sur des surfaces supérieures à 1 000 ha a été fait. Sur des transactions de 2,5 millions d’hectares depuis 2004, beaucoup ont été annulées (« affaires » Daewoo et Varun à Madagascar), la plupart reste encore à l’état de projet ou rejetée. D’autres études mettent l’accent sur les bilans environnementaux et énergétiques de certaines filières et invitent à la prudence. Par ailleurs, il faut souligner que les biocarburants, ne peuvent pas à eux seuls remplacer totalement les carburants fossiles car, leur production nécessite de l’eau, de la main d’œuvre et surtout d’énormes surfaces cultivables. En effet, contrairement à l’idée reçue selon laquelle les plantes biocarburants s’adapteraient aux conditions d’aridité et aux terres dégradées, celles-ci sont toutes aussi exigeantes en eau, en matières organiques ou fertilisants que les autres plantes pour une production optimale. Seulement, il ne faut pas occulter que le développement des biocarburants dans certaines conditions, peut représenter une réelle opportunité pour les pays africains qu’il serait dommage de ne pas saisir. Au Sénégal, par exemple, Enda Energie en collaboration avec l’ISRA pour les aspects agronomiques des espèces et les données climatiques (températures et pluviométrie), l’INP pour les éléments pédologiques, le CSE pour le zonage et la cartographie, a réalisé la cartographie du potentiel de développement des biocarburants. Ce travail effectué en 2010, conformément à la mission de Enda d’orienter les politiques publiques, visait à servir d’outils d’orientation et d’aide à la prise de décision, à la fois pour les décideurs politiques dans leur stratégie de développement des bioénergies (l’octroi des permis d’exploitation) et les investisseurs dans le choix des zones a prospecter pour l’élaboration de plans d’affaires. La méthodologie adoptée pour évaluer le potentiel de développement des biocarburants au Sénégal a été basée sur des critères socio-économiques en terme de degré de compétition avec les cultures alimentaires dans l’usage des terres et de l’eau, les espaces de forêt et d’aires protégés, les potentialités des espèces, la toxicité et l’acceptabilité sociale; des critères agro-écologiques en termes de précipitations, de températures, d’Altitude, du type de sol et du PH, des critères énergétiques et politiques en terme de volonté gouvernementale. La carte qui suit, résume les résultats de cette cartographie et indique les zones favorables à la culture de Jatropha une des sept spéculations analysées Cette carte montre qu’il existe un bon potentiel de production du Jatropha au Sud du pays, et qu’au Nord, zone rizicole et dans le bassin arachidier, les potentiels sont plus faibles voire inexistants. Le Jatropha reste la spéculation la plus appropriée avec 3.150.000 ha favorables et 5.613.300 ha moyennement favorables. Le Sorgho Sucré et le Manioc présentent des potentialités intéressantes, ainsi que le Pongamia et le Tournesol bien qu’étant en phase d’expérimentation. Seule la Canne à Sucre qui exige des conditions de développement particulières (forte humidité, engrais,…), présente une faible capacité estimée a 327 200 ha favorables si on tient compte des critères agronomiques et socioéconomiques. Les critiques portant sur le développement des biocarburants autant que leur potentiel de développement méritent davantage d’être contextualisé.

  1. 2.    Quels principes pour un développement durable et équitable des biocarburants en Afrique

 Compte tenu des enjeux ci-dessus énumérés, le développement des biocarburants devra être accompagné d’un certain nombre de principes, gages d’étique et de durabilité. Avec la mise en place de garde-fous, à travers des cadres réglementaires adaptés et des principes fondamentaux. Elle devra se faire par les Etats en collaboration avec tous les acteurs (institutions de recherche, organisations de la société civile, investisseurs, populations) en vue de protéger les intérêts des communautés. Dans ce cadre, une option pourrait être de promouvoir des pôles de développement avec des limitations de superficies allouées aux biocarburants ou avec la priorisation de leur production principale- ment en association avec les cultures alimentaires ou en haies vives. En d’autres termes, il s’agira d’effectuer, sur une zone donnée, un calibrage entre surface et rentabilité afin d’introduire les biocarburants dans le mix- énergétique de la zone et de mettre en place un système de protocole des actions au sein de ces pôles de développement ; ce qui aiderait à identifier et à rectifier toute dérive particulièrement dans les processus de cession des terres. Par ailleurs, pour garantir les principes d’équité, le développement des biocarburants devra être accompagné d’un certain nombre de principes :

 a. La production exclusive d’agro carburants sur de vastes étendues de terres arables devra laisser place à une production décentralisée à l’échelle micro afin de ne pas mettre en danger la sécurité alimentaire et prévenir l’accaparement des terres. Ce changement d’échelle est d’autant plus pertinent dans un contexte de décentralisation devenue une réalité dans plu- sieurs pays africains. Avec une agriculture de plus en plus demandeuse d’énergie à tous les échelons de la chaine des valeurs, les biocarburants seraient une solution au niveau local.

b. La finalité de la production des biocarburants devra aussi être un pré requis au développement de cette filière. Les biocarburants produits devront répondre aux besoins énergétiques exprimés par les pays hôtes (bénéficier aux communautés) et non être destinés à l’exportation. De ce fait, on pourra réduire la pauvreté énergétique des populations et éviter à ce que de petits exploitants agricoles ne soient transformés en simples ouvriers par de grands investisseurs privés. Des arguments locaux et contextuels visant à préserver les intérêts locaux et aider à l’autosuffisance et l’indépendance énergétique des populations, devront être mis en avant.

 c. La promotion des biocarburants devra aussi être conforme aux principes du Développement Durable en évitant un apport exagéré d’énergie fossile dans le processus de production. Un recul scientifique suivi d’une étude d’impacts environnemental, social et économique, devra accompagner la transformation de plantes « sauvages » comme le jatropha, en biocarburants.

d. L’assurance que les législations nationales en matière des transactions foncières sont adéquates et n’offrent pas des lacunes exploitables

e. Les Organisations de la Société Civile devront se placer comme éco-conseiller et jouer le rôle de veille ou d’alerte. Il s’agit, de façon permanente, d’informer et de sensibiliser d’une part les populations sur les principaux enjeux et d’autre part de mener des plaidoiries et de proposer des alternatives appropriées aux décideurs politiques. En définitive, ils devront jouer un rôle de modérateur et d’appui-conseil au niveau des interprofessions futures sur les biocarburants.

Pour aller plus loin

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