« La voix du Niger n’est pas assez écoutée par les négociateurs de la COP21 »

 

Article publié dans Altermondes le 27 octobre 2015, avec une interview de Moutari Abdoul Madjid de DEMI-E Niger

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Par Mathieu Viviani

Au Niger, les conséquences du réchauffement climatique se font déjà sentir. Sécheresses prolongées, pénuries d’eau, chaleurs étouffantes, etc. Dans un pays où l’agriculture représente 40% du PIB, l’adaptation au réchauffement climatique est presque devenue “une question de survie”. À un mois de la COP21, Moutari Abdoul Majid, responsable du Projet Eau et Assainissement et du plaidoyer de l’ONG nigérienne DEMIE-E, nous donne son éclairage sur la situation.

Vous êtes impliqué dans les négociations climatiques de la COP21 en tant que membre de la société civile. En quoi consiste votre travail ?

Capture d’écran 2015-10-06 à 16.08.45Moutari Abdoul Majid : Je suis membre du Réseau Climat et
Développement (RC&D) au sein d’un comité de six experts en charge de la thématique “adaptation au réchauffement climatique”. Nous travaillons à la mise en place de stratégies visant à pallier les conséquences du changement climatique, notamment sur le continent Africain qui est celui que je connais le mieux. Dans le cadre de la COP21, le RC&D sera observateur et négociateur en qualité de membre de la société civile. Toutes nos analyses alimentent les propositions que le RC&D porte et portera aux décideurs. Le but de mon travail est donc que le volet adaptation soit vraiment pris en compte au sein des conclusions finales de la COP21.

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La voix du Sahel est-elle entendue par les décideurs du Nord ?

M.A.M : Très sincèrement, non. Dans mon pays, l’agriculture représente économiquement 40% du PIB. Or, à l’heure actuelle, celle-ci est gravement menacée par la sécheresse et les problèmes de pénurie d’eau qui sont clairement accentués par le réchauffement climatique. Le Niger a bien rendu son document de contribution nationale (CDPN) en amont de la Conférence climat. Il y a clairement fait apparaître l’importance d’accéder à des financements pour l’adaptation de son agriculture face au réchauffement climatique. La dernière version de l’avant-document compilant toutes les propositions des États parties et qui servira de base pour les négociations de la COP21, n’a pas retenu cette requête. Ceci, alors qu’elle ne concerne pas seulement le Niger mais l’ensemble des pays africains situés sur la bande sahélienne. C’est inquiétant pour la suite…

La contribution nationale (CPDN) est un document officiel de chaque État partie prenante de la Conférence climat (COP21) dans lequel sont fixés les objectifs et mesures que les pays prévoient de mettre en place à partir de 2020 pour lutter contre les changements climatiques.

Comment se mobilise la société civile nigérienne pour le climat ? Quels obstacles rencontre-t-elle ?

M.A.M : Elle fait de son mieux. La question des enjeux climatiques est de plus en plus débattue à la télévision et dans les radios nigériennes. Dans de nombreux villages, on voit émerger des pièces de théâtre sur le thème du climat. Les artistes y jouent un vrai rôle de sensibilisation. Tous ceci illustre bien la prise de conscience des nigériens sur cette question. Il faut savoir que nous n’avons pas attendu la COP21 pour nous intéresser au climat. Depuis de nombreuses années déjà, les citoyens nigériens vivent au quotidien les conséquences du réchauffement climatique. Tout le monde voit bien que ce n’est plus comme avant. Les acteurs associatifs, comme notre ONG, se mobilisent beaucoup sur le terrain. On trouve des solutions avec les gens sur place, en transmettant par exemple des techniques pour rationaliser la gestion de l’eau dans un contexte de pénurie. Mais nous faisons face à un obstacle de taille : le manque cruel de soutien financier de la part de notre gouvernement et des décideurs internationaux. Il est urgent que cette situation change pour démultiplier notre action.

Vous venez de participer à des ateliers pédagogiques autour du changement climatique et ses conséquences avec des collégiens français. Qu’avez-vous pensé de leur réaction ? Est-elle la même chez les jeunes nigériens ? Quelles actions votre ONG met-t-elle en place pour les sensibiliser ?

M.A.M : J’ai été sincèrement touché par leur intérêt sur les enjeux climatiques. Mais j’ai remarqué qu’ils en ignoraient beaucoup d’aspects. Notamment, lorsque ceux-ci concernaient les pays en voie de développement. Pour vous donner un exemple, lorsque je leur ai montré une photo d’un enfant nigérien sur un âne transportant de l’eau, ils ont plus été captivés par l’âne, un animal peu courant dans les villes françaises, que l’enfant. Ici, il n’y a pas ce qu’on appelle au Niger “la corvée de l’eau”. On a juste à ouvrir le robinet, ou acheter de l’eau minérale, voilà tout. Je leur ai donc expliqué qu’au Niger, les enfants doivent bien souvent aller chercher de l’eau à des dizaines de kilomètres de chez eux, ce qui entrave lourdement leur cursus éducatif. Cette remarque a suscité beaucoup de questions sur le sujet, et j’en étais ravi.
Au Niger, c’est un peu le contraire. Les enfants font face aux conséquences du réchauffement climatique au quotidien. Ils le vivent dans le présent. Mais ils n’ont peu ou pas accès à ces outils pédagogiques fabuleux expliquant globalement la problématique du climat. Avec Demie-E, nous envisageons de développer des programmes en ce sens. À l’heure actuelle, nous nous concentrons beaucoup sur la formation des agents municipaux et des enseignants aux techniques d’assainissement et de gestion durable de l’eau. Mais c’est un début. Il faut encore développer ce programme. C’est la raison pour laquelle la question du soutien financier est essentielle.

 

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