Interview d’Ali Bonguere de EDER Niger dans le Monde

Nourrir la planète, le défi de l’Exposition universelle, Article de Laetita Van Eeckhout par dans Le Monde le 30 04 2015.

Comment nourrir la planète ? Pendant six mois, l’Exposition universelle, qui ouvre ses portes vendredi 1er mai, à Milan, confrontera les propositions de 140 pays participants. Le défi est immense. En 2050, la planète comptera 9 milliards d’humains, près de 2 milliards de plus qu’aujourd’hui. Or, chaque année déjà, 805 millions de personnes sont en proie à la faim.

Le défi est d’autant plus grand que le changement climatique accroît la vulnérabilité de l’agriculture. Sécheresses, pluies de plus en plus irrégulières, inondations, perturbation des écosystèmes, cyclones plus fréquents affaiblissent un peu plus les zones tropicales déjà très vulnérables. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, d’ici à 2080, ce sont 600 millions de personnes supplémentaires chaque année qui pourraient souffrir d’insécurité alimentaire sous l’effet du changement climatique.

Transition

Deux visions de l’agriculture s’affrontent pour nourrir la planète. Au sein de la communauté scientifique, mais aussi des institutions internationales, la nécessité est posée d’une transition vers un nouveau modèle agricole s’appuyant sur la polyculture et la rotation des cultures plutôt que la monoculture et utilisant au maximum les processus écologiques pour lutter contre les espèces invasives et fertiliser, stimuler la vie des sols.

A l’opposé, les grands producteurs et agrochimistes soutiennent que la sécurité alimentaire passe par la seule augmentation de la production agricole et défendent une intensification des monocultures par l’utilisation de plantes génétiquement modifiées.

L’Europe est en plein débat sur cette question de savoir si la sécurité alimentaire passe par le développement des biotechnologies. Mais pour Franz Fischler, ancien commissaire européen à l’agriculture et directeur du comité scientifique européen de l’Exposition universelle, on ne saurait fermer la porte à la recherche dans ce domaine : « Il est évident que nous devons regarder dans toutes les directions pour améliorer la production, de façon durable. Et, dans ce contexte, les biotechnologies jouent clairement un rôle fondamental. Et pas seulement dans la production. C’est aussi vrai dans le stockage ou la réduction des déchets », affirmait-il, le 15 avril, en présentant le débat scientifique sur les moyens de nourrir la planète, que la Commission européenne lance en ligne à l’occasion de l’Exposition de Milan.

« Les OGM sont une supercherie, car il n’existe pas d’OGM aujourd’hui qui résiste à la sécheresse », réplique Ali Abdou Bonguere, coordinateur de l’ONG nigérienne Energie et environnement pour le développement rural.

La société civile du Sud – ONG et organisations de producteurs – s’alarme des « fausses solutions ». « Il faut investir dans l’agriculture familiale, pas dans l’agrobusiness », insiste Ali Abdou Bonguere. « L’agrobusiness se traduit dans les pays du Sud par le développement de grandes monocultures et l’accaparement de terre par des investisseurs internationaux au détriment des petits agriculteurs. L’agriculture familiale assure aujourd’hui 75 % des besoins alimentaires mondiaux. »

« Agriculture climato-intelligente »

« Dans les zones où domine la petite agriculture, l’intensification conventionnelle des cultures, exigeant toujours plus d’eau, d’engrais, de pesticides, peut entraîner des problèmes environnementaux autrement plus aigus que dans les pays développés », ajoute Bruno Dorin, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), fin connaisseur de l’agriculture asiatique, détaché à New Delhi.

Et le chercheur d’insister : « Là où l’agriculture est à petite échelle, l’agro-écologie peut être particulièrement performante. Il s’agit en effet de trouver les combinaisons d’espèces végétales et animales qui tirent au mieux parti des écosystèmes locaux, maximisent la photosynthèse, améliorent la qualité des sols et des eaux. Ce mode de culture écologique, qui peut être au moins aussi productive que l’agriculture industrielle, est beaucoup plus résilient aux chocs climatiques mais aussi économiques, car il dépend à un bien moindre degré de ressources non renouvelables et coûteuses comme les engrais de synthèse fabriqués à base d’énergie fossile.

La société civile du Sud demande que la convention qui sera adoptée en décembre à Paris lors de la Conférence mondiale sur le climat (COP 21) reconnaisse « explicitement » l’effet du changement climatique sur la faim dans le monde et s’engage sur des mesures d’adaptation et d’atténuation efficaces.

« Secteur-clé pour la sécurité alimentaire, l’agriculture africaine est la moins émettrice de CO2 mais la plus affectée par les dérèglements climatiques », insiste le Togolais Joseph Kogbe, coordinateur du Réseau climat et développement, qui rassemble 80 associations africaines.

A Genève, lors de la session préparatoire de la COP 21 en février, l’expression « sécurité alimentaire » est apparue pour la toute première fois dans le texte en préparation. Le sujet a même été inscrit dans son préambule. Mais rien ne dit qu’il figurera dans l’accord final. Les ONG sont sur leurs gardes, d’autant qu’il serait envisagé de retenir le concept d’« agriculture climato-intelligente ».

Promu par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture en 2009, ce concept cherche à relever le triple défi de la sécurité alimentaire, de l’adaptation de l’agriculture face au changement climatique et de l’atténuation de celui-ci (réduction des émissions ou stockage de carbone). Il reste cependant très controversé et suscite de vives critiques de la part des grandes ONG internationales. « Avec ce concept, on se garde bien de faire un vrai choix sur un modèle agricole. Le périmètre des actions promues intègre des pratiques largement contestées comme l’utilisation d’OGM ou encore l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques », observe Peggy Pascal, chargé du plaidoyer à Action contre la faim.

La crainte des ONG : que l’on passe à côté de l’objectif qui consiste à consolider le tissu productif des petits producteurs et que l’« agriculture climato-intelligente » ne devienne qu’un moyen pour les gros investisseurs privés de gagner un label à bon compte.

 

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