Article de Reporterre sur le Réseau Climat & Développement

Afrique et climat : il est temps que les pays du nord bougent vraiment, affirment des écologistes africains

20 avril 2015 / Emilie Massemin et Lucas Mascarello (Reporterre)

Energie, agriculture, droits des hommes et des femmes : la lutte contre le changement climatique peut être une chance pour l’Afrique. A condition que les pays du nord respectent leurs engagements. Plusieurs ONG africaines ont lancé un appel aux pays développés sur ce qu’elles attendent du futur accord de Paris. Reportage sonore et photographique au cœur d’une rencontre riche en témoignages et en réflexions.

Vendredi 17 avril à l’Assemblée nationale, six représentants de la société civile africaine, membres du Réseau Climat et Développement, accompagnés de représentants d’ONGfrançaises, ont exprimé leurs recommandations pour la COP21. Quatre tables rondes, pour un seul fil conducteur : quels défis l’accord de Paris doit-il relever pour répondre aux besoins des populations les plus vulnérables ?

L’énergie

Is Deen Akambi, d’Eco-Bénin, plante le décor : « En Afrique, 70 % de la population n’a pas accès aux service énergétiques. » Les Béninois utilisent du bois pour la cuisson et le chauffage, avec pour conséquences déforestation et maladies respiratoires. « Ceci, alors que notre continent présente un potentiel colossal en énergies renouvelables, avec jusqu’à 300 jours de soleil par an dans certains pays et du vent dans les régions côtières, enrage Is Deen Akambi. Et que beaucoup d’initiatives, foyers améliorés, pompes solaires… existent déjà mais peinent à se développer. »

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Au premier plan, un enseigant sénégalais. Au second plan, Is Deen O. Akambi, de l’association EcoBénin.

« 80 % de la production électrique africaine repose sur le gaz et le pétrole, renchérit Vanessa Laubin, du Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités (GERES). Alors que les énergies renouvelables permettraient de créer de nombreux emplois. »

– Écoutez Vanessa Laudin sur le potentiel africain en matière d’énergies renouvelables :

Les deux ONG formulent plusieurs recommandations : des financements supplémentaires pour des investissements massifs dans les énergies renouvelables, y compris dans les zones reculées ; l’interdiction des investissements dans les énergies « sales » ; et une meilleure coopération entre États, qu’elle soit Nord-Sud ou Sud-Sud.

L’agriculture

« En Afrique et en Asie, l’agriculture familiale permet de répondre à environ 70 % des besoins alimentaires de la population, rappelle Ali Bonguere, de l’EDER NigerMais elle subit les conséquences du changement climatique. En 2014, 25 000 ha de terres agricoles ont été détruits par les inondations au Niger. »

« En 2080, 600 millions de personnes supplémentaires souffriront de la faim si l’on ne fait rien, estime Peggy Pascal, d’Action contre la FaimIl faut que le rôle premier des sols soit de produire de la nourriture, pas de stocker du carbone avec le risque d’accaparement des terres que cela induit. Et que l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire soit mentionné dans le préambule du futur accord, mais aussi dans les objectifs généraux et les parties adaptation et atténuation. »

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Au micro, Peggy Pascal d’Action Contre la Faim

Les Africains ne veulent pas de « fausses solutions » : « Il faut investir dans l’agriculture familiale, pas dans l’agrobusiness », insiste Ali Bonguere. En ligne de mire, la Global Alliance for Climate-Smart Agriculture, sur laquelle Reporterre avait enquêté en avril dernier.

Le tacle fait grincer quelques dents dans la salle. « La France a choisi d’intégrer la Climate-Smart Agriculture pour l’influencer dans le bon sens de l’intérieur », défend Stéphane Crouzat, conseiller diplomatique de Ségolène Royal. Quelques sièges plus loin, un agronome soutient pour sa part que « les sols africains reçoivent trop peu d’intrants, seulement 10 kg par an alors qu’il en faudrait 50 »

« En Afrique, on ne peut pas dissocier la lutte contre le changement climatique, la lutte contre la pauvreté et l’accès à l’eau, conclut Moutari Abdoul Madjib, de Demi-E Niger. Il faut que 50 % du financement soit consacré à l’adaptation, il doit être additionnel à l’aide publique au développement et être sous forme de dons. »

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Moutari Abdoul Madjid de l’association Demi-E Niger

Les droits humains et les droits des femmes

Les droits humains fondamentaux – droit à l’alimentation, à la santé, à l’eau, aux terres – sont menacés par le changement climatique. En témoigne Hindou Oumarou Ibrahim, de l’AFPATTchad : « L’existence de mon peuple Peul Mbororo, d’éleveurs nomades, est lié à l’environnement. L’assèchement du lac Tchad nous oblige à aller de plus en plus loin à la recherche d’eau et de pâturages. Cela entraîne des conflits avec d’autres communautés. Les droits humains doivent être mentionnés dans le préambule mais aussi dans toutes les parties du futur accord. »

Les Africaines sont les premières victimes des impacts du dérèglement du climat. En effet, « elles doivent nourrir la famille et aller chercher l’eau et le bois. 60 à 80 % de la production agricole est assurée par les femmes », observe Zenabou Segda, du Women Environmental Program (WEP) Burkina.

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Zenabou Segda, de l’association « Women Environmental Programme » (WEP) du Burkina Faso

« Mais elles sont également actrices, souligne Zenabou Segda. Elles sont capables de transporter des pierres pour construire des digues et protéger les sols dégradés par les sécheresses. »

« Les rendements doublent quand on appuie les femmes, s’enthousiasme Colette Benoudji, coordinatrice de l’association LEAD TchadLes solutions sont là mais on ne nous écoute pas. »

 

« Le genre est un facteur de risque supplémentaire, analyse Fanny Petitbon, de CARE France.L’accord de Paris doit reconnaître les impacts différenciés du changement climatique en fonction du genre, que les politiques adoptées prennent en compte le genre et que l’expression ’égalité des genres’ apparaisse dans le préambule et dans la partie opérationnelle. »

Reste également en suspens la protection des défenseurs de l’environnement. « ’Mon patron boira à l’intérieur de ton crâne et nous mangerons ton cœur’, voilà un des messages de menaces reçus par l’avocat libérien Alfred Brownell alors qu’il travaillait sur une affaire d’accaparement des terres, alerte Antoine Madelin, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Entre 2011 et 2014, nous avons dénombré 43 assassinats de défenseurs des droits à la terre et le harcèlement judiciaire de 123 défenseurs. »

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Un participant au Dialogue Afrique et COP 21 pose une question

Financement

« L’Afrique dépense 7 à 15 milliards de dollars par an pour son adaptation au changement climatique, alors qu’elle ne contribue qu’à hauteur de 4 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Elle ne reçoit qu’un à 2 milliards de dollars », calcule Maiga Mouhamadou Farka, de l’Amade Pelcode Mali. Pour lui, il faut que les États les plus riches aident l’Afrique à investir massivement dans les énergies renouvelables, la lutte contre l’érosion des sols, dans l’aide aux petits paysans et dans l’autonomisation des femmes.

il est indispensable, juge-t-il, que les pays développés respectent leur engagement pris en 2009 à Copenhague, de mobiliser 100 milliards de dollars par an. « S’il n’y a pas de décision forte, l’Afrique ne se risquera pas à apposer sa signature en bas du texte », prévient Maiga Mouhamadou Farka.

Romain Benicchio d’Oxfam constate « un manque de clarté sur les montants disponibles engagés pour les pays en développement. Cela sert les pays bailleurs. Par exemple, le Japon a compté dans son soutien au développement ses investissements dans la construction de centrales à charbon ! »

Il faut également s’assurer que les financements existants répondent bien aux besoins des pays vulnérables. « La France ne consacre qu’un quart de ses financements à l’adaptation. Pour asseoir sa crédibilité en tant que présidente de la COP21, elle va devoir remettre cette question à plat. »

Pour Denis Voisin de la Fondation Nicolas Hulot« il faut trouver des financements innovants. Plutôt que d’inventer de nouveaux mécanismes, pourquoi ne pas faire aboutir certaines propositions comme la taxe sur les transactions financières ? ».

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Au centre, Pascal Canfin

Pascal Canfin, ancien ministre délégué chargé du développement, prône deux points importants sur la mobilisation des 100 milliards de dollars : davantage de fonds publics – de nouvelles promesses sont espérées lors du G7, en juin -, et des règles comptables claires pour les flux privés. En matière d’adaptation, « il faut un engagement public concentré sur les plus vulnérables », estime-t-il. Il faut également définir une feuille de route de sorte que « les trillions de dollars d’investissements dans les énergies fossiles passent à une économie décarbonée ».

« Tout ne peut pas être négocié au sein de la Convention climat, insiste Pascal Canfin. Pour évaluer la conférence de Paris de manière juste, il faudra regarder l’accord mais aussi tout ce qu’il y a autour. »

 L’article en ligne sur le site de Reporterre

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