En amont du Sommet des Nations Unies consacré à l’adoption du programme de développement pour l’après 2015 (Objectifs de Développement Durable), du 25 au 27 septembre 2015, le RC&D a adressé aux chefs d’État africains le courrier suivant :
Messieurs les chefs d’État des pays africains,
Dans quelques mois à peine, les pays du monde entier se réuniront à Paris pour négocier et signer un accord mondial qui visa à lutter contre les changements climatiques. Vous le savez, les impacts des changements climatiques affectent déjà nos pays au quotidien et l’accord qui se dessine pour Paris n’est pas suffisamment ambitieux pour nous aider à faire face à ces impacts. Pire, il risque de nous condamner à une démultiplication de ces effets néfastes et violents du changement climatique car au regard des engagements pris par les plus gros pollueurs de la planète, nous sommes sur une trajectoire de réchauffement de plus de 3°C. Notre développement est en jeu, tous les efforts accomplis jusqu’ici risquent d’être anéantis. Notre continent tout entier est menacé. Vous avez l’opportunité historique d’interpeller ces pays responsables et d’annoncer clairement les attentes du continent africain dans cet accord. Pour la société civile africaine, fortement mobilisée sur ces questions et au plus près des communautés déjà affectées, six questions clé pour notre développement doivent figurer au cœur de l’accord de Paris :
1/ Les financements publics : sans engagements financiers additionnels, notre continent ne pourra pas planifier et mettre en place des politiques de développement qui atténuent les impacts néfastes du changement climatique et nous permettent de nous adapter à cette nouvelle donne climatique irréversible. Nous savons que 11 pays européens sont en train de mettre en place une taxe sur les transactions financières qui pourrait permettre de générer des milliards d’euros. Il est impératif qu’ils se mettent d’accord pour en allouer une partie substantielle à la solidarité internationale avec l’Afrique et ses grandes urgences : les questions de santé et l’adaptation aux changements climatiques.
2/ Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique : pour limiter le changement climatique et ainsi garantir le maintien d’une planète vivable, il urge de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le développement et la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique permettent à la fois de poursuivre cet objectif et de lutter contre la pauvreté en permettant l’accès de tous à l’énergie dans nos pays. Aujourd’hui en Afrique, les contraintes économiques ou technologiques pouvant s’opposer à cette transformation sont limitées. La transition énergétique est donc possible à condition de mettre en place les financements prévisibles favorables au développement des énergies renouvelables, en particulier dans les pays les plus pauvres. Cette transition s’annonce bénéfique en termes d’emplois : 20 millions d’emplois créés dans le monde en 15 ans, dont 9,7 millions dans l’industrie photovoltaïque (soit autant que dans le charbon aujourd’hui) et 7,8 millions dans l’éolien. Il est donc temps que les pays développés permettent à l’Afrique d’engager cette transition énergétique en arrêtant les soutiens aux énergies fossiles et en mobilisant des financements pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
3/ L’agriculture et la sécurité alimentaire : l’agriculture et la sécurité alimentaire représentent des préoccupations majeures aux yeux des pays les plus pauvres et en particulier des pays africains. Alors que près de 795 millions de personnes dans le monde souffrent de la faim et que plus de 180 millions d’enfants sont victimes de sous-nutrition, les impacts des changements climatiques comme les sécheresses, les inondations ou encore les tempêtes menacent très fortement les petits agriculteurs et leur sécurité alimentaire. Il est crucial que l’accord de Paris prenne suffisamment en compte la question de la sécurité alimentaire et nutritionnelle à travers la promotion et le financement de vraies solutions comme les agricultures paysannes et l’agro-écologie, seules à même de répondre aux défis climatiques et alimentaires. A l’inverse, ni l’Agriculture Intelligente face au Climat (CSA), dont le concept reste encore flou, ni son Alliance Mondiale (GACSA), qui ne comporte aucun critère de redevabilité ni aucune sauvegarde sociale et environnementale, ne doivent faire partie de l’Accord et de l’Agenda des solutions.
4/ L’adaptation : Les pays les plus pauvres subissent d’ores et déjà les impacts néfastes du changement climatique qui risquent de croître dans les années à venir si l’on reste sur une trajectoire de réchauffement à 3°C. Le fardeau financier représente une contrainte de taille pour les Etats africains qui ont une économie fragile. Selon le PNUE, le coût de l’adaptation en Afrique représente déjà 7 à 15 milliards de dollars par an d’ici 2020. Il pourrait atteindre 50 milliards de dollars par an en 2050 pour un scénario de limitation de l’augmentation de la température mondiale en-deçà de 2°C, et jusqu’à 100 milliards par an si nous ne nous détournons pas du scénario actuel qui pourrait conduire à une augmentation de température de plus de 4°C en 2100. L’adaptation et son financement doivent être un pilier fondamental dans l’accord de Paris pour limiter la vulnérabilité face au changement climatique.
5/ L’égalité des genres : Les inégalités sont un facteur supplémentaire de vulnérabilité, et notamment les inégalités de genre. Ainsi, les femmes souffrent le plus des impacts des changements climatiques, mais elles sont également porteuses de solutions. L’accord doit donc protéger et renforcer l’égalité des genres. Il devra favoriser une large participation des femmes dans les processus d’élaboration, de mise en œuvre, suivi et évaluation des politiques et actions de lutte contre les changements climatiques. Il devra également promouvoir l’intégration du genre dans les politiques climatiques. En effet, la mise en œuvre de l’égalité des genres dans les solutions climatiques définies aux niveaux international, régional, sous régional, national et local reste le grand défi à relever.
6/ La protection des droits humains : le changement climatique constitue une menace pour les droits des populations, et en particulier de certaines catégories déjà très vulnérables, comme les femmes, les populations autochtones, les agriculteurs pauvres ou les habitants des sociétés traditionnelles, qui doivent leur survie à la production et la préservation des ressources naturelles. Par ailleurs, certains projets climat remettent en cause les droits des populations locales. Il est donc indispensable d’intégrer les droits humains et l’approche basée sur les droits dans les négociations de la COP21, et notamment dans le texte de l’accord de Paris. Ceci nécessite la création d’un mécanisme juridique indépendant permettant aux personnes ou aux groupes qui estiment que leurs droits ont été violés de déposer une plainte. Cela doit déboucher sur un processus qui identifie un responsable, garantisse la protection du droit et le cas échéant permette une réparation à la hauteur des dégâts engendrés. Une approche basée sur les droits revient également à prioriser, entre différentes options possibles d’atténuation ou d’adaptation, celles qui ne renforcent pas la vulnérabilité des personnes affectées ou engendrent d’autres vulnérabilités, mais qui permettent au contraire de protéger ces personnes et de renforcer leurs capacités à avoir une vie digne.
Nous comptons sur vous pour porter ces messages auprès des pays qui sont en train de fragiliser notre capacité à nous développer et à lutter contre la pauvreté endémique qui frappe notre continent.
Joseph Y. Kogbe,
Coordonnateur du Réseau Climat & Développement
Le Réseau Climat & Développement regroupe près de 80 ONG francophones, majoritairement africaines, qui travaillent sur l’intégration des enjeux climat et développement.