Climat, pas d’accord sans les peuples d’Afrique, article de l’Humanité

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Climat, pas d’accord sans les peuples d’Afrique

Marion d’Allard, Mardi, 21 Avril, 2015, L’Humanité

C’est une lutte planétaire dans laquelle nous sommes désormais engagés. Une lutte contre le réchauffement climatique, dont les premières victimes sont souvent les plus vulnérables. Dans les pays du Sahel, les bouleversements climatiques riment avec malnutrition, conflits interethniques, paupérisation, creusement des inégalités femmes-hommes… Peu entendue lors des grands rendez-vous onusiens, la société civile africaine a pourtant beaucoup de choses à dire et à mettre à l’ordre du jour des grands débats internationaux. Venus du Tchad, du Burkina Faso, du Niger, du Mali et du Bénin, invités par le Réseau climat et développement (regroupant 73 associations francophones de près de 20 pays), 
six représentants d’ONG, porte-parole des oubliés du climat, viennent de passer une semaine à Paris. Une étape décisive sur la route de la grande conférence climat (COP21) de décembre prochain, dont l’objectif reste d’aboutir à un accord contraignant et universel pour maintenir le réchauffement planétaire sous la barre de 2 °C. Dans la grande équation des nations, les peuples d’Afrique exigent d’avoir voix au chapitre.

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Crédit photo : Assemblée Nationale

1. La justice climatique
 doit être un des piliers 
des négociations

Hindou Oumarou Ibrahim, Association Afpat,Tchad

« Le changement climatique représente l’injustice la plus importante de notre époque. » Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’association des femmes peules autochtones du Tchad (Afpat), le répète à l’envi. Celle qui appartient au peuple peul mborro du Tchad a fait de 
la défense des populations vulnérables son cheval de bataille pour exiger que les droits humains, « indissociables de la question des bouleversements climatiques », soient pris en compte dans les grandes négociations internationales. « Une question de survie », explique-
t-elle. Tout autour du lac Tchad, dont 
la ressource en eau se tarit désespérément, les communautés d’éleveurs nomades ou semi-nomades subissent au quotidien les colères d’un climat devenu fou. Les phénomènes extrêmes s’accélèrent, inondent les terres ou assèchent les cultures, provoquent vagues de chaleur et pluies diluviennes, multipliant les épidémies et la disparition de plantes médicinales ancestrales. « Les peuples nomades sont contraints de se déplacer de plus en plus loin pour accéder à l’eau. Les parcours de transhumance s’allongent et parfois même, passent les frontières du Cameroun ou du Nigeria », raconte Hindou Oumarou Ibrahim. Les conséquences, parfois dramatiques, se traduisent par la multiplication des conflits régionaux. Parce que le principe de « justice climatique », doit, une fois pour toutes, devenir un pilier des négociations à venir, Hindou Oumarou Ibrahim se bat pour que les droits à l’alimentation, à la santé, à l’eau et à la terre soient « impérativement inscrits dans le préambule et dans les objectifs » du futur accord de Paris.

2.  Pour la sécurité alimentaire, miser
 sur l’agriculture familiale

Ali Bonguere, Association Eder, Niger

Selon les prévisions, les changements climatiques précipiteront 600 millions de personnes supplémentaires dans la sous-alimentation d’ici 2080. Une donnée qui a agi sur Ali Bonguere comme un détonateur. Ce Nigérien, ultra-sensibilisé aux questions agricoles et de nutrition, se bat depuis des années pour que la sécurité alimentaire des populations vulnérables des pays en développement soit non plus marginale, mais incontournable dans les négociations climat. « L’agriculture de type familial, qui comble 70 % des besoins alimentaires au Niger, est sérieusement affectée par les bouleversements climatiques en Afrique. Ce phénomène s’ajoute à celui du fléau de la pauvreté », explique le militant, membre de l’association nigérienne Eder. « En 2014, 25 000 hectares de terres cultivables ont été détruits au Niger par les inondations », poursuit Ali Bonguere, regrettant que « la question de l’agriculture soit survolée dans les négociations internationales, qui se contentent d’y répondre par des fausses solutions ». Ali Bonguere vise singulièrement celles proposées par l’Alliance globale pour une agriculture intelligente face au climat, dont la France est signataire et qui, selon lui, fait la part belle à l’agrobusiness et s’éloigne de véritables pratiques agroécologiques. Et puisqu’il est là encore question d’argent, « il faut absolument que les financements internationaux et les aides au développement soient orientés vers l’agriculture familiale, seul modèle capable d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les zones les plus vulnérables », insiste Ali Bonguere.

3. Développer les énergies renouvelables 
à l’échelle du continent

Is Deen Akambi, Association EcoBénin, Bénin

Près de trois cents jours de soleil par an et pourtant, « 70 % de la population africaine n’a pas accès aux services énergétiques ». Au sein de son association EcoBénin, 
Is Deen Akambi se bat pour que l’Afrique devienne le continent des énergies renouvelables. Au Bénin, là où il a grandi, la population se chauffe et se nourrit au bois. Outre la déforestation galopante, les émanations de fumée de bois provoquent infections pulmonaires et problèmes respiratoires divers, surtout chez les plus jeunes. « Si la bataille pour l’accès à l’énergie pour tous les Africains doit passer par les énergies fossiles et polluantes, cela ne sert à rien. Il faut développer les renouvelables à l’échelle du continent », affirme Is Deen Akambi, pour qui l’accord de Paris doit permettre à l’Afrique d’exploiter son extraordinaire potentiel éolien, solaire et maritime. Avec son association, il mène de longues campagnes de remplacement des vieux fours à bois par des fours améliorés moins polluants, et espère parvenir à substituer petit à petit aux pompes à eau agricoles à essence, des pompes à eau solaires. « Il faut cesser les investissements sur les projets de centrales à charbon, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Il y a une multitude d’initiatives prises par la société civile pour améliorer le quotidien des gens et développer les énergies propres, il faut les soutenir », insiste Is Deen Akambi, selon qui seul un investissement massif dans les énergies durables et sobres en carbone permettra à l’Afrique de sortir de l’ornière. À condition que les négociations de Paris en fassent une de leurs priorités.

4. Défendre et associer les femmes, en première ligne des bouleversements

Zenabou Segda, Association WEP, Burkina

Parmi les victimes du changement climatique, certaines catégories de la population sont plus touchées que d’autres. C’est le cas des femmes. En Afrique subsaharienne, selon la FAO, 60 % à 80 % de l’alimentation sont assurés par des femmes. Zenabou Segda est burkinabée et travaille pour l’ONG Women Environmental Programme. Pour elle, « l’approche du genre dans les négociations climatiques » n’a rien d’anecdotique : elle est fondamentale. « Dans mon pays comme dans beaucoup d’autres de la région, ce sont les femmes qui sont chargées de labourer la terre, d’aller chercher l’eau et le bois. Lorsque ces ressources manquent, ce sont elles qui marchent des kilomètres pour en trouver », raconte-t-elle. Au Burkina, le réchauffement climatique a multiplié les périodes de grande sécheresse et décuplé la force des vents et des pluies. Les sols, brûlés par le soleil ou noyés sous les eaux, s’appauvrissent. « Les femmes sont alors en première ligne et participent à la construction de diguettes pour sécuriser les champs, en allant chercher des pierres qu’elles rapportent à la force de leurs bras. » Elles sont, enfin, les plus touchées par l’extrême pauvreté. Victimes parmi les victimes, actrices au quotidien, les femmes restent pourtant quasi inaudibles dans les grands rendez-vous internationaux. Pour Zenabou Segda, non seulement les femmes doivent être intégrées aux processus de négociations, mais surtout être associées aux décisions et à la mise en œuvre des mesures sur le terrain. À quelques mois de la COP21, la militante burkinabée refuse de baisser les bras : « La conférence de Paris doit déboucher sur un accord contraignant, assorti d’une plus grande visibilité des problématiques de genre. »

5. L’accord de Paris doit 
faire de l’adaptation 
une grande cause climatique

Moutari Abdoul Madjid, Association Demi-E, Niger

« L’Afrique est le continent qui émet le moins de gaz à effet de serre et celui qui subit le plus les conséquences du changement climatique. » Révolté, Moutari Abdoul Madjid a décidé de passer à l’action et de militer pour que l’adaptation aux phénomènes climatiques extrêmes soit une priorité à l’échelle nationale et internationale. « Au Niger, la population est pauvre et les sécheresses et inondations détruisent le peu qu’ils ont, bétail, champs, habitations… », explique-t-il. Pour lui et pour l’association Demi-E Niger dont il est membre, les pays riches, responsables du réchauffement climatique, doivent impérativement mettre la main à la poche pour aider les pays vulnérables à appliquer une réelle politique de prévention, d’adaptation et de planification. Créer des systèmes d’alerte précoces, construire des greniers résistant aux fortes pluies et aux vents violents, planifier l’évacuation des populations en cas d’inondation, autant de pistes pour éviter qu’aux catastrophes naturelles s’ajoutent des drames sociaux. « L’accord de Paris doit être l’occasion de faire de l’adaptation, notamment en Afrique, une des grandes causes climatiques pour les années à venir », insiste Moutari Abdoul Madjid. Une « urgence » pour le réseau Climat et Développement, qui rappelle que pour l’heure, « l’adaptation ne représente que 25 % des financements climats déboursés par les bailleurs internationaux et reste marginal dans l’aide publique au développement ».

6 Les engagements financiers doivent 
être respectés

Maiga Mouhamadou Farka, Association Amade Pelcode, Mali

C’est la question qui fâche et sur laquelle les négociations échouent trop souvent. Maiga Mouhamadou Farka, lui, la pose sans détour. « Comment permettre aux pays africains de faire face s’ils n’investissent pas massivement pour limiter les conséquences du changement climatique ? » Chargé des questions de financement au sein de l’ONG malienne Amade Pelcode, il sait aussi que l’Afrique n’a pas les moyens de le faire seule. Selon lui, le seul financement de l’adaptation, « vitale et stratégique », se chiffre, à l’échelle du continent, entre 7 et 15 milliards de dollars annuels. « Or, seulement 1 à 2 milliards sont aujourd’hui investis. » Pourtant, en 2009 à Copenhague, la communauté internationale avait promis une enveloppe de 100 milliards de dollars d’ici 2020 et la création d’un fonds vert climat. « L’Afrique demande juste le respect des engagements pris », insiste Maiga Mouhamadou Farka. Le fonds vert, capitalisé à seulement 10 milliards de dollars, peine, en outre à se fixer un agenda d’intervention. « Nous plaidons pour que la moitié des ressources du fonds vert soit allouée à l’adaptation et l’autre moitié à l’atténuation des effets du changement climatique. Concernant la part dédiée à l’adaptation, la moitié doit revenir à l’Afrique et aux états insulaires, c’est-à-dire aux plus grandes victimes du réchauffement », réaffirme le militant. Le temps presse, et « sans décisions fortes, les pays africains ne signeront pas d’accord à Paris », martèle Maiga Mouhamadou Farka.

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